Maître-anonyme-du-portrait-d'Amsterdam,-Portrait-de-jeune-homme,-M0332_896-1-157-©-Charles-ChoffetDans le cadre de la campagne « Jeune homme de 545 ans cherche mécènes »

Je vous fais part à tous de ma visite médicale au CRRCOA (Centre régional de restauration et de conservation des œuvres d’art de Franche-Comté) de Vesoul. J’y ai rencontré deux restaurateurs qui ont observé mes soucis de très près. Aubert Gérard, directeur du centre et responsable de l’atelier mobilier, a diagnostiqué chez moi un certain nombre de problèmes de dos. Julie Sutter, restauratrice en peinture, a, quant à elle, mis en avant les futures interventions de chirurgie que je devrai subir pour retrouver ma jeunesse.

Yohan Rimaud, conservateur beaux-arts au musée, Anne-Lise et Théa de la communication des musées vous livrent ce compte-rendu.

 

YR : Yohan Rimaud / AG : Aubert Gérard / JS : Julie Sutter

 

 

YR : Que remarque-t-on en regardant le dos du tableau ? Pourquoi le restaurer ?

AG : Il s’agit d’un élément de bois, monolithique, qui n’a pas de joints de collage. C’est un bois clair, de feuillu, qui est à bords diffus. Cela peut-être du peuplier ou du tilleul. Nous constatons des galeries d’insectes xylophages. Il y a une période où il a donc été stocké dans un lieu relativement humide. Les insectes se sont développés au détriment du bois et hélas nous voyons des galeries ouvertes qui s’expliquent parce que la surface a été retaillée. Ce que l’on constate aussi c’est que la planche est déformée, cintrée ce qui correspond à des fluctuations de l’humidité relative. Pour la restauration de ce tableau, il est nécessaire de contrôler l’humidité relative qui est le critère le plus important : lorsque l’humidité augmente et diminue, le panneau change de forme et de dimensions et met en péril la couche picturale qui peut se soulever et s’écailler.

 

YR : En quoi va consister l’intervention de restauration sur le panneau de bois ?

AG : Elle sera limitée. Ce qui est perdu est perdu. Malgré tout le panneau se tient quand même. Ce qui est important c’est que le panneau de bois soit dans un logement protégé au sein du cadre et que ce panneau soit libre, qu’il puisse se mouvoir tout en étant à l’abri.

 

YR : Le panneau joue donc encore son rôle structurel ?

AG : Tout à fait. Le panneau est toujours fonctionnel malgré certaines faiblesses.

 

YR : Pourquoi ce panneau a-t-il été autant dévoré par les insectes ?

AG : L’importance de l’attaque vient du fait que le bois choisi est peu résistant. Il existe des bois tels que le chêne qui résiste bien aux attaques. Ce feuillu clair est naturellement peu résistant. Si dans son environnement proche, le sol ou le plafond est contaminé, les insectes peuvent poursuivre leur attaque sur le panneau. Cette attaque a duré longtemps, des générations d’insectes se sont succédées.  Après accouplement, les femelles pondent des œufs, ces œufs se transforment en larves qui se nourrissent de bois. Elles déchiquètent le bois en avançant et créent les galeries. Le bois digéré va former la vermoulure qui va ensuite tomber du bois. Ce que l’on constate ici, c’est que les infestations sont désormais terminées. Il y a eu des traitements anciens qui ont stoppé le phénomène. Le panneau est stable sur le plan sanitaire.

 

YR : Avez-vous déjà eu affaire à un panneau aussi infesté ?

AG : Ce panneau a subi une grave, très grave attaque contrairement à d’autres panneaux. Il a subi un environnement défavorable à l’œuvre et favorable aux insectes. Ce qui explique l’importance des altérations.

 

YR : Pouvez-vous nous dire quelles sont les principales altérations de la couche picturale ? Que pouvons-nous attendre de cette restauration ?

JS : Cette œuvre ancienne a probablement une histoire assez complexe. Les altérations de la couche picturale sont dues à des interventions qui ont eu lieu sur le support. Par exemple, les galeries d’insectes ont provoqué des zones de fragilité, et l’on constate à certains endroits des affaissements de la couche picturale, qui ont été bouchés par des mastics. Le tableau a probablement été restauré, il y a eu des refixages, des consolidations, des bouchages. L’état de surface, celui de la couche picturale, est chaotique alors que la peinture devait être lisse et très régulière : on voit des craquelures, des zones saillantes. Comme pour le panneau, on repère plusieurs interventions passées : des allégements de vernis, des nettoyages, des phases successives de repeints. La dernière restauration a eu lieu, il y a environ 65 ans. On observe en surface un vernis très oxydé, qui forme un voile jaune opaque et qui modifie fortement la perception des couleurs. Les nombreuses retouches anciennes ont changé de couleurs, se sont assombries ; on a un réseau de taches sombres qui rendent le fond et l’habit peu lisibles. Les couleurs de la matière originale, prisonnière du vernis, sont sans doute plus vives que ce qu’elles laissent entrevoir aujourd’hui.

La restauration permettra d’avoir plus de lisibilité dans la composition et de retrouver des couleurs plus claires et plus subtiles et d’alléger le voile flou qui recouvre l’ensemble.

 

YR : Quelles interventions prévoyez-vous ?

JS : Nous commencerons par un refixage des zones fragiles pour consolider la matière, pour éviter de perdre des écailles. Nous allons ensuite faire un décrassage pour enlever les saletés en surface. Une des interventions qui va sans doute beaucoup changer l’œuvre, sera l’allègement du vernis. On va essayer d’amincir le voile jaune en surface et de retirer les retouches anciennes très désaccordées et très débordantes par rapport à l’original.

 

YR : Les couleurs vont changer ?

JS : Nous verrons les détails du vêtement, la teinte de l’habit et le fond de l’œuvre.

 

YR : Va-t-il garder son chapeau rouge ?

JS : Oui ! Le chapeau est original sauf qu’avec le temps il a perdu certains glacis, certaines laques rouges qui devaient en faire un bonnet plus détaillé. Il restera rouge !

 

YR : Beaucoup de changements donc, en particulier dans la partie plus sombre du tableau ?

JS : Oui, mais aussi au niveau de la carnation du visage qui va être plus nette et plus détaillée après l’allègement du vernis.

L’inscription va être également plus visible, les liserets marron vont s’éclaircir.

 

YR : Peut-on dire qu’il est temps de restaurer cette œuvre ?

JS : Les anciennes restaurations sont dégradées, elles ont vieilli. Il est temps de retirer les ajouts pour retrouver la composition originale, la mettre en valeur et la protéger à nouveau, la stabiliser.

 

YR : Donner une image plus fidèle du tableau ?

JS : Nous allons essayer de se rapprocher des teintes originales, retirer les ajouts, retrouver une meilleure lisibilité de la matière picturale qui reste belle, usée mais sans lacunes importantes.

L’espoir de retrouver des couleurs plus vives, de retrouver la composition du vêtement, est légitime.

 

YR : Et si la restauration ne se fait pas ?

JS : Les matériaux non originaux, rapportés, vont continuer à vieillir, s’oxyder, s’assombrir. Nous perdrons encore plus de lisibilité.

 

YR : Les œuvres vieillissent, il est donc normal de les restaurer ?

JS : C’est une œuvre ancienne, l’étape de restauration est une étape normale. Notre travail est de redonner vie au tableau. La restauration est un moment privilégié, où l’on peut se rapprocher au plus près des matériaux originaux, observer de près les techniques anciennes, les détails de composition, les pigments auxquels nous n’avons pas accès quand l’œuvre est en salle où derrière une vitre. C’est le moment de se plonger dans l’histoire de l’œuvre, de l’observer attentivement, de pouvoir trouver des solutions les plus adaptées pour pouvoir les transmettre aux générations futures dans les meilleures conditions possibles.

 

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