La restauration des peaux peintes amérindiennes

Le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon conserve deux peaux peintes amérindiennes exceptionnelles qui ont fait l’objet d’une campagne de restauration en 2011. Entrées dans les collections du musée dès 1853, ces capes en peau de cervidé proviennent d’une collection royale constituée sous l’impulsion du Duc d’Artois, frère de Louis XVI en 1783. Souhaitant parfaire l’éducation des Enfants de la Maison de France, celui-ci confie à leur précepteur, le Marquis de Sérent, le soin de constituer un Cabinet d’Histoire Naturelle à Versailles dans une perspective volontairement universaliste. Plus de deux cents pièces de provenances diverses (Canada, Louisiane, Antilles, Guyane, Pérou) sont alors réunies à Versailles, issues, pour la plupart, du fonds collecté par Jean Denys Fayolle, commis au bureau des colonies d’Amérique et amateur de curiosités. Lors de la Révolution, le cabinet d’histoire naturelle est transféré à la bibliothèque municipale de Versailles où M. de Fayolle, en charge de ce premier musée républicain, procède entre 1792 et 1806 à un inventaire complet de la collection. Il mentionne notamment « 18 tapis de peau de Bœufs Illinois chevreüils et autres quadrupèdes », documentés par un ensemble de gravures datées de la fin du XVIIIème ou du début du XIXème siècle. Les deux peaux peintes de Besançon y figurent. On ignore tout en revanche du devenir de ces collections pendant la première moitié du XIXème siècle comme des modalités de leur transfert au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie. Aujourd’hui seules douze peaux amérindiennes subsistent de ces collections royales : neuf d’entre elles, autrefois présentées au Musée de l’Homme, sont désormais conservées au musée du Quai Branly  tandis qu’un autre exemplaire se trouve au Museum d’Histoire Naturelle de Lille.

La constitution des plus anciennes collections amérindiennes remonte aux premiers contacts établis par les Français en Nouvelle France. Très tôt, les colons considèrent l’ensemble des vêtements en peau amérindiens (manteaux, tuniques, jambières, mocassins et sacs) comme des objets de grande valeur, notamment pour la souplesse et la blancheur des cuirs que les procédés de tannages européens ne permettent pas alors d’obtenir. Les deux peaux amérindiennes de Besançon proviennent toutes deux de la moyenne vallée du Mississipi mais se distinguent par leur programme iconographique. La première (853.50.1) est attribuée au groupe Quapaw. Une scène de chasse s’y déploie à l’intérieur d’un cadre rectangulaire : autour d’un motif solaire rayonnant s’affrontent des couples d’animaux (bisons, ours, cervidés et panthères) tandis qu’un archer bande son arc. La scène s’enrichit sans doute d’une dimension symbolique dont le sens, faute de documentation, nous échappe. Loin d’être une simple ornementation, les peintures des manteaux et des vêtements, de la même manière que les tatouages et les peintures corporelles, constituent en effet une forme d’écriture pictographique, mémoire sociale situant l’individu à l’intérieur du groupe.

La seconde cape (853.50.2), sans doute plus ancienne, est attribuée au groupe voisin des Illinois, dont les terres s’étendaient dans une région située au Nord-Est des Etats-Unis. On y reconnaît un oiseau tonnerre dont l’extrême stylisation confine à l’abstraction. Encore hermétique à l’influence picturale occidentale, cette cape est généralement datée de la seconde moitié du XVIIème siècle ou du début du XVIIIème siècle. Cette tradition picturale déclina avant d’être sérieusement enregistrée. Cependant on considère généralement que l’oiseau tonnerre évoque les croyances des groupes d’Indiens des Plaines, et notamment leur vision d’un monde supérieur, dominé par cet être surnaturel, qui contrôle l’orage et transmet les messages divins.

On doit au peintre américain Georges Catlin un ensemble de tableaux illustrant notamment les traditions vestimentaires amérindiennes. Le « Portrait du chef indien Roche Noire» conservé au musée du Quai Branly documente ainsi la façon de porter ces capes : les manteaux sont généralement drapés sur les épaules et descendent jusqu’à mi-hauteur du mollet, l’encolure de la bête étant portée sur le côté gauche. Selon Jean-François Lafiteau, missionnaire jésuite qui séjourna cinq ans au Canada au début du XVIIIème siècle, hommes et femmes se drapent dans ces peaux qu’ils ne retiennent qu’avec les mains sauf en cas de voyage.

Les peaux peintes amérindiennes du Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon présentaient des altérations d’ordre structurel liées à leurs anciennes conditions de conservation. C’est pourquoi elles ont fait l’objet d’une campagne de restauration au printemps en 2011. Cette opération, menée par Alexandra Bouckellyoen a permis d’en améliorer les conditions de conservation comme d’en approfondir l’étude technologique, en précisant notamment les méthodes de préparation et de tannage des peaux comme celles de l’application des pigments. Une des difficultés consistait à distinguer les altérations liées aux modes de conservation inadaptés des lacunes d’ordre technologique propres à la fabrication de ces peaux. En effet, la découpe des peaux, comme les procédés de « semi-tannage » à la cervelle et à la fumée, propres aux Indiens des Plaines, entraînent des altérations que l’on se doit de conserver car elles documentent certaines des étapes de leur chaine opératoire. Chacune des capes est ainsi parcourue sur son pourtour d’un réseau d’œillets, qui témoigne d’une des premières étapes de leur traitement. Ainsi, après la phase dite d’épilage, qui consiste à tremper la peau dans de l’eau courante afin de la nettoyer, la peau encore humide est perforée à intervalles réguliers afin de la fixer sous tension sur un chevalet. La peau est alors écharnée de manière à retirer l’épiderme, l’hypoderme, les graisses et les restes de tissu musculaire. Le nettoyage en surface des peaux du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie a permis de mettre en évidence les striures qui correspondent à cette étape de grattage avec un outil tranchant, préalable au tannage proprement dit. Les pigments, d’origine minérale ou végétale sont ensuite appliqués sur la face externe de la peau recouverte d’un apprêt spécifique. Les lacunes d’ordre technologiques qui ne présentaient pas de risque d’altération pour les peaux  n’ont fait l’objet d’aucun comblement, seules les parties rigidifiées ou cassantes ont fait l’objet d’une consolidation au revers afin d’assurer les meilleures conditions de conservation.

Depuis leur restauration les deux peaux peintes du musée ont été prêtées au musée Champollion dans le cadre de l’exposition « Mémoires Indiennes » ; elles font désormais l’objet de demandes de  prêt régulières de la part d’autres musées.  D’autres pans de cette collection amérindienne (mocassins, sagaies) sont actuellement en cours de restauration et pourront faire l’objet d’une présentation temporaire dès leur retour à Besançon.