Saint Roch,
Giambattista Tiepolo

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BAP | Bon à prendre | 14

Marseille, le 25 mars 2020

Trois-cents ans plus tôt, en 1720, la Peste s’abat sur la cité phocéenne, fauchant la moitié de sa population. L’ordre est au confinement, le peuple est en quarantaine, solidaire face au fléau qui dévaste les familles, tandis qu’on tente d’endiguer l’épidémie dans le sud du Royaume de France. Une décennie plus tard, entre 1730 et 1735, le peintre Giambattista Tiepolo réalise pour la Scuola Grande di San Rocco à Venise plusieurs petits tableaux à l’effigie de saint Roch dont celui-ci, conservé depuis 1896 au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. Les Vénitiens, autre peuple ouvert sur la Méditerranée et exposé à la maladie qui se répand en Orient, implorent ce saint « antipesteux » pour les protéger du terrible bacille qui a ravagé la ville un siècle plus tôt, en 1630. Saint Roch – San Rocco en italien – est un pèlerin et médecin originaire de Montpellier, né durant la Peste noire du XIVème siècle. Il s’engage très tôt sur les routes de France puis d’Italie, guérissant de nombreux malades de la peste comme, plus tard, saint Charles Borromée en 1576 à Milan, ou encore l’évêque de Belsunce en 1720 à Marseille. A son tour, il contracte la maladie près de Piacenza et décide, humblement, de se retirer du monde en se confinant dans les bois. Giovanni Battista Tiepolo choisit de représenter l’instant où le saint, surpris par l’arrivée d’un ange envoyé pour le guérir, découvre sa cuisse, laissant apparaître le bubon pestilentiel (pestbeule). Un décadrage volontaire laisse à ce « petit pan de mur jaune » baigné de lumière, le soin de s’exprimer. Cet espace silencieux suggère la présence rassurante de l’émissaire de Dieu que saint Roch, seul, peut voir et entendre. Une même scène vécue de deux façons si on est le personnage dans le tableau ou alors le spectateur de ce dernier ; un procédé subtil qui souligne le haut pouvoir de suggestion de la peinture, capable de représenter par le « Rien » et de raconter sans image, simplement en stimulant par le non-dit ; – « l’in-représenté » –, l’imaginaire du spectateur. Notre imaginaire qui a, en ces temps de retraite contrainte où le corps est entravé, besoin de s’exprimer plus que jamais.

La peinture compte parmi ces clés d’évasion.

Nicolas Joyeux, historien de l’art et photographe

Giambattista Tiepolo, Saint Roch, vers 1730-1735

Ombres et lumières, Barbara Dasnoy

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BAP | Bon à prendre | 13

CE QUE JE NE VOIS PAS. CE QUE JE VOIS.

L’image absente fabrique sa complémentaire et remplace son absence. Je vois cette image. Pourtant, je ne l’ai pas sous les yeux. Elle est sous les cimaises, à la fin de la première rampe, intelligemment accrochée au-dessus et proche de Morellet. Elle anticipe le virage vers la Renaissance italienne.
L’image résiduelle s’impose et me permet la lecture. Je crois qu’il est impossible de dire qu’une œuvre sans représentation — un rectangle en hauteur — est le produit d’une image figurative qui fut supprimée (le portrait volé, dis-paru chez Madame de La Fayette dans La Princesse de Clèves, m’évoque cela.) Je penche plutôt pour cette idée que la composition de Barbara Dasnoy existe en soi. Elle se précède à elle-même, et se succède à elle-même. Elle est relative au lexique de la forme. La fascination qu’elle exerce de loin, alors que je ne dis pas non plus son nom, provient de ce qu’elle est intégralement ouverte et disponible.

Yves Ravey, romancier et auteur de théâtre.
22 mars 2020

Barbara Dasnoy, Ombres et lumières

Le taureau d’Avrigney

 

BAP | Bon à prendre | 12

Il faudrait sans doute prendre le taureau par les cornes. Faire de la rosace de sa toison un masque – sans omettre de garder libre l’arcade sourcilière et la cavité du regard – et déambuler ainsi par la ville, de place en place, à raison de trois pas dansés au centre de chacune d’elles, pour conjurer la Grant contagion de pestilence.
Mais comment saisir un taureau à trois cornes ? Par quelle tenue de mains déjouer la règle de trois, éviter la couronne de sang ?
Se confiner peut-être. Tenir le vis-à-vis avec le tricorné à juste distance. Attendre. Ne rien faire. Attendre en fixant intensément la corne de l’abondance néfaste. Attendre la chute.
Trouver alors chemin neuf.

Jacques Moulin, poète et co-animateur des rencontres mensuelles Les poètes du jeudi.
Mars 2020

Taureau d’Avrigney (Haute-Saône), sculpture en bronze, 1er siècle.

 

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